Arrabal Fernando

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Du lundi 6 janvier au samedi 11 janvier 2025

Version française

Lundi 6 janvier :

1/6 Étienne/Michel

          Michel de Montaigne, mon essayiste-visionnaire préféré, dans l’édition de 1588 des Essais selon « l’exemplaire de Bordeaux », dit :

           « Si l’on me presse de dire pourquoi j’aimais [son brillant ami Étienne de La Boétie] , je sens que je ne puis m’exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

            Montaigne lui-même ajoute cette phrase célèbre en marge de son exemplaire personnel, comme s’il voulait redire une fois de plus l’amour qu’il portait à son ami ?

           Oui, Michel de Montaigne (1533-1592) a entretenu une grande amitié avec Etienne de La Boétie (1530-1563). 

          Ils se sont rencontrés à Bordeaux en 1558 ; La Boétie, à 28 ans, est déjà conseiller au Parlement de Bordeaux, puis à la Cour, et bien avant cela, il a écrit l’éblouissant Discours de la servitude volontaire à moins de 20 ans :             

           Résolvez de ne pas servir et vous serez libres.     »

           Aurais-je écrit mes lettres, à commencer par la « Lettre au général Franco », si je n’avais pas lu le Discours ?

           Michel lui a-t-il rendu hommage dans  ses Essais?  A-t-il publié le Discours, après la mort d’Etienne en 1563, comme celui-ci le lui avait demandé dans ses derniers instants ?

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Ernest Heminway disait à partir de 1947 jusqu’au 2 juillet 1961 à Ketchum :

« …se suicider…  mais on passe la vie à le faire » 

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Mardi 7 janvier :

2/6 Étienne/Michel

            L’amitié entre les deux hommes est une histoire d’amour qui se termine de manière inattendue par l’occultation  de La Boétie à l’âge de 32 ans.

           Quel rôle cette amitié et cette occultation a-t-il joué dans la formation de Montaigne, de trois ans son cadet ?

            Sans l’occultation  de cet ami-cher, Montaigne aurait-il écrit les Essais ?   

         « Par ce que c’estoit luy par ce que c’estoit moy »

          Que veut-il dire par cette phrase, explique-t-il quelque chose ?

            C’est un message si énigmatique, si singulier, si déconcertant… Qu’est-ce que Michel a voulu évoquer ?

           Michel était (et sera avec son ami) les grands penseurs français du XVIe siècle.

          Mais comment la phrase était-elle prononcée à l’époque ?  On sait qu’à l’époque, toutes les lettres étaient lues et entendues.

         Michel a-t-il dit la phrase en vers !? En vers spontanés… En alexandrin parfait…

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Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov

auteur du génial roman Le Maître et Marguerite, a déclaré en 1940 :

« ...je ne comprends pas comment des dizaines de personnes ont pu lire mon roman, je suis stupéfait ».

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Mercredi 8 janvier :

3/6 Michel/Étienne

            Michel et Étienne ne se connaissent que depuis six ans, les dernières années de la vie de La Boétie, qui meurt à l’âge de 32 ans, probablement de dysenterie. 

          À l’époque, Michel est moins connu que son

ami, dont le célèbre Discours, publié à titre posthume, circule déjà dans les milieux intellectuels bordelais. Après l’avoir lu avec enthousiasme, Michel souhaite en rencontrer l’auteur, qui est également député à Bordeaux.

         Les deux magistrats se rencontrent en 1557 lors d’une fête réunissant les membres du parlement de Bordeaux.  Étienne est un conseiller bien établi, tandis que Michel, issu d’une juridiction plus modeste, celle de Périgueux, est difficilement accepté.

             Michel et Étienne n’étaient pas destinés à se rencontrer. Mais lorsqu’ils se rencontrent, l’entente entre les deux hommes est-elle immédiate ?

             Étienne, déjà marié, trouve que Michel, encore célibataire, est trop dissipé. Montaigne reste dépendant de son père, qui voit en La Boétie un bon précepteur pour son fils.  Cependant, on ne les voit pas souvent ensemble à Bordeaux, chacun ayant ses propres occupations, Étienne ayant des missions de concorde en cette période troublée des guerres de religion.

          Michel avait promis de faire du Discours le cœur battant de ses « Essais ». Finalement, il n’en fit rien. Dans le Livre 1, il a célébré l’amitié entre les deux. En 1570, il avait longuement décrit les derniers moments de l’occultation d’Etienne dans une « Lettre à son père à l’occasion de la mort d’Etienne de la Boétie ».

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Emil Mihai Cioran et Eugen Ionescu,

sont nés et se sont occultés en pareilles dates, disaient:

« …je ne me contredis pas, je prends  des libertés »

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Jeudi 9 janvier :

4/6 Étienne/Michel

              Pour l’occultation de La Boétie en août 1563, Montaigne organise un interminable enterrement avec ses conditions.  Celui qui survit à ces cérémonies devient en quelque sorte le propriétaire de l’autre disparu.

             Le chapitre De l’Amitié, consacré à La Boétie, est au centre du premier livre des Essais. Il est suivi d’un chapitre de vingt-neuf sonnets « amoureux » d’Étienne de La Boétie dédiés à une  dame, qui se faisait appeler Corisande comme l’héroïne du roman populaire Amadis des Gaules.

        Encore présents dans l’édition parisienne des trois livres des Essais de 1588, ils sont désormais condamnés dans l’Exemplaire de Bordeaux, destiné à préparer de nouvelles éditions.

              Montaigne les a tous barrés de deux grands traits de plume obliques avec la mention suivante :

            « Ces vingt neuf sonnets d’Estienne de La Boëtie qui estoient mis en ce lieu ont été despuis imprimés avec ses œuvres ».

         Aucune publication ultérieure n’a vérifié cette observation. Et les éditions ultérieures des Essais mentionnent ce « vide » au cœur du Livre .

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Parfois Samuel Beckett

nous disait à Suzanne ou à moi (comme dans certaines de ses pièces): ici ou ailleurs ou reconnaissait, au contraire :

«... mon goût de l’ordre est plus fort que  ma  paresse? »

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Vendredi 10 janvier :

5/6 Étienne/Michel

        Philippe Desan, né le 16 mai 1953, est professeur et critique littéraire, spécialiste de l’histoire des idées à la Renaissance française, et plus particulièrement de Michel de Montaigne.

      D’abord sociologue, il a obtenu son doctorat à l’université de Californie à Davis en 1984, avec sa thèse : « Le développement de l’idée de méthode en France au XVIe siècle ».

       Il a publié de nombreuses études sur la littérature et l’histoire culturelle de la Renaissance française en relation avec ses contextes philosophiques, économiques, politiques et sociologiques.

        Il est titulaire de la chaire Howard L. Willett à l’université de Chicago, où il occupe le poste de maître et de doyen adjoint des sciences humaines dans la division des sciences humaines, qui compte 16 départements, et dirige le département des langues et littératures romanes.

      Il est le rédacteur en chef de la revue Montaigne Studies. Il est également président de la Société internationale des amis de Montaigne.  En 2015, il a reçu le prix Pierre-Georges-Castex de littérature française de l’Académie des sciences morales et politiques pour Montaigne : une biographie politique.

         En 2024, il vient de publier un roman au titre balzacien « Montaigne et La Boétie, une ténébreuse affaire », dans lequel il analyse l’amitié entre Montaigne et La Boétie à la manière d’un roman policier ?

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Milan Kundera

nous disait à l’atelier du roman:

« …ils dissimulent leurs profonde connerie avec les oripeaux de l’engagement politique »

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Samedi 11 janvier :

6/6 Étienne/Michel

                Peut-être, se demande Philippe Desan, l’amitié entre Michel et Étienne n’est-elle qu’un cliché, transmis à travers les siècles au détriment d’une vérité plus « ténébrante » ?

       C’est l’hypothèse qu’analyse Philippe Desan dans son nouveau livre, qui reprend les codes du roman policier et présente une intrigue criminelle, une enquête et l’esquisse d’une accusation ?

           Montaigne a-t-il assassiné son ami La Boétie, son rival politique et le mari de sa maîtresse, et ce meurtre est-il resté impuni ?

          Et si les choses étaient aussi sombres, aussi noires ?

         Philippe Desan, esquisse-t-il d’autres hypothèses : l’illustre auteur des Essais était-il un intrigant, un menteur, un séducteur ?

         Ce roman policier est-il iconoclaste, éblouissant et érudit ?

           Philippe Desan démêle-t-il une affaire imaginaire ?

           Montaigne aurait-il quelque chose à voir avec la disparition de La Boétie, et Michel aurait-il semé des indices pour assombrir la fin de son cher ami Étienne ?

          Dans cette enquête magistrale, tout ou presque paraît-il vrai, et le lecteur est-il tenté de vérifier les hypothèses ?

          Tant d’irrévérence… ? 

         Avec un auteur qui, avec les autres d’aujourd’hui et de toujours, je  vois, ou les ai vus, gravir systématiquement la Voie Lactée jusqu’au sommet.

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Marie Paradis, La Paradise, 

traversant le Mont  Blanc en 1808 a dit, extasiée:

«…silence fragile et somptueux de la montagne »