Le 24 octobre 2023
Fernando Arrabal
TOHU-BOHU
Impromptu (ou entremés)
Pour le poète Raúl Herrero le 24 octobre 2023.
Lieu Paradis
Date le 24 avril 1616
Personnages
MIGUEL DE CERBANTES FELICIANO DE SILVA VOIX DE PETITS ANGES
Musique très forte, Tutti frutti ? de Little Richard. On entend les ordres bruyants donnés par les anges du Centre opérationnel (en arrière-plan à droite).
FELICIANO DE SILVA
(très mécontent, prend un haut-parleur)
S’il vous plaît, mes très chers et très admirés anges du Centre d’opérations, supprimez les chansons de Little Richard dans les secteurs où je passe.
Immédiatement la voix de Little Richard cesse.
VOIX ENFANTINES D’ANGES MOQUEURS ET RIEURS
Nous sommes à votre service éternel, Monsieur de Silva.
Miguel de Cerbantes apparaît à gauche. Feliciano de Silva et Miguel de Cerbantes se regardent avec étonnement. Enfin :
FELICIANO DE SILVA
Dites-moi, s’il vous plaît… mais êtes-vous Don Miguel ?
MIGUEL DE CERBANTES
Lui-même, pour servir Dieu et Vous.
FELICIANO DE SILVA
J’ai appris hier soir que vous étiez arrivé ici. J’étais sur des charbons ardents. Je me réjouissais tant de vous voir.
MIGUEL DE CERBANTES
Oui, exactement hier soir, ils m’ont soulevé en un clin d’œil. Je suis monté sur la Voie Lactée. Mieux que confortable. (Regardant Don Feliciano de la tête aux pieds) Vous êtes donc Don Feliciano ? Vous ne pouvez pas imaginer à quel point je suis heureux de vous rencontrer ici.
Ils se donnent l’accolade, avec beaucoup d’enthousiasme et d’affection, pendant un long moment.
FELICIANO DE SILVA
Oui, je suis Feliciano de Silva, l’ancien maire de Ciudad Rodrigo et le fils du maire de Madrid. Je suis ici, si l’on en croit les je-sais-tout, depuis le jour même de votre naissance.
MIGUEL DE CERBANTES
Je suis Miguel de Cerbantes ou Cervantes, Saavedra ou Cortinas, comme il vous plaira.
FELICIANO DE SILVA
Si vous voulez, nous prendrons bien un blanc ?
MIGUEL DE CERBANTES
Avec plaisir, même si je ne sais pas ce que c’est.
FELICIANO DE SILVA
Bien sûr, vous êtes nouveau.
Des hauteurs descendent, subrepticement et sans bruit, une table, deux chaises, deux cruches transparentes contenant un liquide parfaitement blanc, et deux serviettes noires.
FELICIANO DE SILVA
Vous vous y habituerez immédiatement. Ces blancs sont délicieux et vous pouvez les commander à votre goût : du chocolat, à la mangue. Les serviettes sont très utiles pour les barbus et les moustachus comme nous.
Feliciano de Silva prend une gorgée de blanc, qui le tache copieusement ; il s’essuie immédiatement avec la serviette noire.
FELICIANO DE SILVA
Dites-moi, Don Miguel, peu avant de monter ici, avez-vous écrit votre testament ?
MIGUEL DE CERBANTES
C’est ce que l’on dira, j’en suis sûr, mais en réalité ce ne sont que des éclaircissements indispensables au second Parnasse.
FELICIANO DE SILVA
Parfaits et si drôles ! Je ris à gorge déployée chaque fois que je les lis.
MIGUEL DE CERBANTES
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
FELICIANO DE SILVA
Que vous vous amusiez à imaginer ce que vous feriez de vos nouvelles si elles n’étaient pas exemplaires.
MIGUEL DE CERBANTES
Ce n’est pas drôle du tout ce que je dis et ce que je voulais dire si mes nouvelles n’étaient pas exemplaires. Oui, mes nouvelles doivent être et sont exemplaires comme les nouvelles italiennes.
FELICIANO DE SILVA
Ce qui m’a fait éclater de rire, c’est la comparaison plaisante que vous avez faite.
MIGUEL DE CERBANTES
De quelle plaisanterie parlez-vous ?
FELICIANO DE SILVA
Si vos nouvelles n’étaient pas exemplaires, vous avez dit, et je répète votre plaisanterie, que la main avec laquelle vous les avez écrites soit coupée par vous Le manchot de Lépante !
MIGUEL DE CERBANTES
Dans ces moments-là, on est tellement absorbé… que les fautes… quand on va s’occulter…
FELICIANO DE SILVA
Vous dites occulter pour mourir.
MIGUEL DE CERBANTES
Cela me semble moins funèbre. (Un moment) Mais dites-moi d’abord, comment avez vous réussi à être l’écrivain le plus célèbre et le plus connu de votre temps, triomphant, traduit et publié dans la plupart des langues.
FELICIANO DE SILVA
C’est vous qui avez écrit que « le triomphe cache ce que l’échec montre ».
MIGUEL DE CERBANTES
Mais vous n’avez pas connu d’échec de votre vivant, tout n’était qu’honneurs et couronnes.
FELICIANO DE SILVA
Ce sont les anges là-bas (il montre l’arrière-plan à droite) qui contrôlent les services de la Prédestination et de la Destinée. Ils passent leur journée à plaisanter entre eux. Je ne sais pas pourquoi ils ont décidé que je serais le premier de mon époque, puis, pour plus de drôlerie, le dernier dans peu de temps.
MIGUEL DE CERBANTES
Ce n’est pas possible. Dans mon Quichotte, je vous cite avec enthousiasme dès la première page.
FELICIANO DE SILVA
Je l’ai déjà lu, merci beaucoup ! Et vous citez même ma pièce La Celestina.
MIGUEL DE CERBANTES
Je suis fan de vous, et c’est pourquoi je vous cite constamment.
FELICIANO DE SILVA
Vous êtes surtout fan de votre théâtre et surtout de La Confusa.
MIGUEL DE CERBANTES
C’est vrai que c’est ma préférée.
FELICIANO DE SILVA
Vous-même, Don Miguel, peu avant votre mort, avez écrit : « Mais la pièce que j’estime le plus, et dont je suis le plus fier, était et est celle qui s’appelle La Confusa, …., qui pourrait prendre une place de choix, comme bonne parmi les meilleures ».
MIGUEL DE CERBANTES
C’est une œuvre à laquelle je voulais tout d’abord donner un autre titre.
FELICIANO DE SILVA
Un sous-titre ? Comme souvent ?
MIGUEL DE CERBANTES
Non, un autre titre. J’aurais préféré Tohu-bohu, mais cela m’aurait fait ressembler à ce que je ne veux pas être aujourd’hui.
FELICIANO DE SILVA
Vous faites référence à l’œuvre d’Hésiode.
MIGUEL DE CERBANTES
(en extase)
Le premier poète. Il a écrit son livre prodigieux il y a 24 siècles.
FELICIANO DE SILVA
La Théogonie où il dit qu’au commencement était le chaos.
MIGUEL DE CERBANTES
(énergique)
Les traducteurs helléniques ont remplacé tohu-bohu par chaos, comme cela déjà avait été traduit.
FELICIANO DE SILVA
Le tohu-bohu est le chaos.
MIGUEL DE CERBANTES
(très fâché)
Ce n’est pas le chaos. Au commencement, nous pouvons seulement nous demander si la création naît du tohu-bohu ou si Dieu naît du tohu-bohu pour la création.
FELICIANO DE SILVA
Écoutez, Miguel, comme les petits anges commencent à chanter là-bas.
ANGES
(chantant)
Peintre qui peins avec amour tu fais l’éloge de ma couleur car tu sais que
nous sommes près de Dieu
chaque fois que tu peins des chapelles tu peins des petits anges noirs
tu t’es toujours souvenu de peindre l’ange en noir.
F I N
Fernando Arrabal
TOHU-BOHU
entremés (o impromptu)
Para el poeta Raúl Herrero, el 24 de octubre de 2023.
Lugar
Paraíso
Fecha
24 de abril de 1616
Personajes
MIGUEL DE CERBANTES FELICIANO DE SILVA ANGELITOS
Música estridente y muy alta de ¿Tutti frutti? de Little Richard. Se oyen las ruidosas órdenes que van dando (al fondo a la derecha) los ángeles del Centro de Operaciones.
FELICIANO DE SILVA
(Muy disgustado y cogiendo un megáfono).- Por favor, mis muy queridos y muy admirados ángeles del Centro de Operaciones, supriman la canción de Little Richard en los sectores por donde yo paso.
Inmediatamente cesa la voz de Little Richard.
ANGELITOS
(Infantiles voces riéndose con guasa).- Estamos a su eterno servicio señor de Silva.
Por la izquierda aparece Miguel de Cerbantes. Feliciano de Silva y Miguel de Cerbantes se contemplan asombrados. Por fin:
FELICIANO DE SILVA
– Dígame por favor…, pero es usted ¿don Miguel?
MIGUEL DE CERBANTES
– El mismo, para servirle a Dios y a usted.
FELICIANO DE SILVA
– Me enteré ayer por la noche de que usted había subido acá. Estaba en ascuas. Deseando verle.
MIGUEL DE CERBANTES
– Sí, exactamente ayer noche me alzaron en un periquete. Subí por la Vía Láctea. Mejor que confortable. (Mirando de pies
a cabeza a Don Feliciano). Entonces, ¿es usted don Feliciano? No puede imaginarse la alegría que me da conocerle precisamente aquí.
Se abrazan con gran entusiasmo ¿y cariño? durante largo rato.
FELICIANO DE SILVA
– Sí, soy Feliciano de Silva, el antiguo regidor de Ciudad Rodrigo y el hijo del antiguo alcalde de Madrid. Yo llevo aquí, si hemos de creer a algunos sabe-lo-todo-de-ahí-abajo, desde exactamente el día de su nacimiento.
MIGUEL DE CERBANTES
– Yo soy Miguel de Cerbantes o Cervantes, Saavedra o Cortinas como más le guste.
FELICIANO DE SILVA
– Si le parece, ¿vamos a tomar un blanco?
MIGUEL DE CERBANTES
– Encantado aunque no sé que es
FELICIANO DE SILVA
– Claro, es nuevo.
Se oyen voces del Centro de Operaciones. Caen subrepticiamente y sin ningún ruido una mesa, dos sillas, dos tazones trasparentes con un líquido perfectamente blanco con dos servilletas negras.
FELICIANO DE SILVA
– Se acostumbrará inmediatamente. Estos blancos son riquísimos y los puede pedir del gusto que prefiera: desde el chocolate al mango. Las servilletas son utilísimas para los que llevamos barba y bigote.
En efecto, Feliciano de Silva se pega un trago de blanco que le mancha copiosamente; inmediatamente con la servilleta negra se limpia las manchas.
FELICIANO DE SILVA
– Dígame, don Miguel, poco antes de ocultarse ¿escribió usted su testamento?
MIGUEL DE CERBANTES
– Eso es lo que seguro que se dirá, pero en realidad solo son imprescindibles aclaraciones al segundo Parnaso.
FELICIANO DE SILVA
– Perfectas y tan divertidas; me parto de risa siempre que me las leo.
MIGUEL DE CERBANTES
– ¿Qué le parece tan divertido?
FELICIANO DE SILVA
– Que se lo ocurra la gracia de imaginar lo que haría si sus novelas no fueran ejemplares.
MIGUEL DE CERBANTES
– No es nada gracioso lo que digo y quise decir: mis novelas deben ser y son ejemplares como las novelas italianas.
FELICIANO DE SILVA
– Lo que me hizo destriparme de risa es la jocosa comparación que hizo.
MIGUEL DE CERBANTES
– ¿A qué jocosidad se refiere?
FELICIANO DE SILVA
– Que si sus novelas no fueran ejemplares, dijo usted y le repito su chiste, que se cortaría la mano con que las escribió… ¡el manco de Lepanto!
MIGUEL DE CERBANTES
– En esos momentos está uno tan absorto… que los gazapos… cuando uno se va a ocultar…
FELICIANO DE SILVA
– Dice usted ocultar por morir.
MIGUEL DE CERBANTES
– Me parece menos fúnebre. (Un tiempo). Pero antes dígame cómo consiguió llegar ser el escritor más celebre y triunfal de su tiempo; traducido y publicado en la mayoría de las lenguas usuales.
MIGUEL DE CERBANTES
– Fue usted el que escribió «el triunfo oculta lo que el fracaso muestra».
MIGUEL DE CERBANTES
– Pero usted en vida no tuvo ningún fracaso: todo fueron honores y coronas.
FELICIANO DE SILVA
– Son los ángeles de ahí (Señala el fondo a la derecha) los que llevan los dos servicios de Predestinación y Destino. Se pasan el día gastando bromas entre ellos. No se por qué decidieron que yo sería el primero de mi tiempo y luego para mayor jolgorio el último dentro de poco.
MIGUEL DE CERBANTES
– No podrá ser. Yo en mi Quijote le cito a usted con entusiasmo desde la primera página.
FELICIANO DE SILVA
– Ya la leí, ¡muchas gracias! y cita incluso mi obra de teatro La Celestina.
MIGUEL DE CERBANTES
– Soy un hincha de las dos. Por eso a usted le cito constantemente.
FELICIANO DE SILVA
– Usted es hincha sobre todo de su teatro Y muy especialmente de La Confusa.
MIGUEL DE CERBANTES
– Es cierto que es mi predilecta.
FELICIANO DE SILVA
– Usted, poco antes de ocultarse, usted mismo, don Miguel, escribe: «Mas la que yo más estimo, y de la que más me precio, fue y es de una, llamada La Confusa…., bien puede tener lugar señalado por buena entre las mejores».
MIGUEL DE CERBANTES
– Es una obra que en principio quise que llevara otro título.
FELICIANO DE SILVA
– ¿Un subtítulo? Como tantas veces.
MIGUEL DE CERBANTES
– ¡No! Otro título. Me hubiera gustado mucho más Tohu-bohu, pero me hubiera hecho parecer lo que no quiero hoy ser.
FELICIANO DE SILVA
– Se refiere usted a esa obra de Hesíodo.
MIGUEL DE CERBANTES (En éxtasis)
– Del primer poeta. Escribió su prodigioso libro hace 24 siglos.
FELICIANO DE SILVA
– La Teogonía, donde dijo que al comienzo fue el chaos.
MIGUEL DE CERBANTES (Enérgico)
– Los traductores helenos pusieron chaos
por tohu-bohu, como ya había sido traducido antes.
FELICIANO DE SILVA
– El tohu bohu es el chaos.
MIGUEL DE CERBANTES (Muy enfadado)
– ¡No! No es el chaos. Al comienzo solo podemos preguntarnos si la creación surge del tohu-bohu o si Dios surge del tohu-bohu para la creación.
FELICIANO DE SILVA
– Escuche, Miguel, cómo se han puesto a cantar los angelitos de ahí.
ANGELITOS (Cantando)
– Pintor, que pintas con amor,
siempre ensalzas mi color, pues sabes que en el cielo
estamos cerca de Dios; siempre que pintas capillas pintas angelitos negros porque siempre te acordaste de pintar al ángel en negro.
F I N